Derniers soupirs
Je vais mourir, bientôt ; très bientôt. Et tous ces
gens autour de moi… Que me veulent-ils vraiment ?! Me consacrer une mort
décente, une mort sans trop de souffrances morales ?! Mais qu’en
savent-ils, hein ?! Ils ne mourront pas bientôt, eux. Pas très bientôt, en
tout cas.
La mort me rend méchant, insupportable. Je suis à mes
derniers moments dans la vie, et je ne fais que la pourrir pour tous ceux qui
m’entourent.
Je ne me suis jamais considéré comme solitaire. J’ai
toujours été sociable, facile à vivre, agréable même et courtois, comme on me
l’avait souvent dit. J’aimais être agréable. Mais jamais naïf. Ma physionomie
m’avait permis de m’épanouir dans mon corps, sans aucun complexe ; l’amour
pour moi était chose acquise. J’étais très fin, sans pour autant paraître
faible. J’avais les épaules tellement larges que toute chemise m’allait, même
si elle aurait paru moche sur quelqu’un d’autre. Les filles m’adoraient. Je
n’avais jamais à mendier l’amour, ni toutes les choses qui s’y relient. Je n’ai
jamais souffert d’une maladie chronique, ni de problèmes de peau. Ma peau était
toujours aussi reluisante que celle d’un petit bébé. J’étais épanoui. Je
rayonnais de vie.
Et me voici réduit maintenant à m’allonger sur ce lit,
prélude de ma demeure finale. Avec tous ces gens qui vont et viennent, et qui
resteront encore là quand je serai, moi, parti. Leur vue me rend rancunier, amer.
Ils trimbalent leur santé et leurs membres vigoureux devant cette dépouille
vivante que je suis devenu. Ma femme est toujours jeune et rayonnante. Mes
nobles gènes m’ayant permis d’avoir, même à soixante ans, une grâce que les
jeunes mêmes m’enviaient. On m’avait d’ailleurs souvent dit que je suis un
aimant, et que tous les gens autour de moi finissent toujours par m’aimer,
m’idolâtrer même. Et je n’avais pourtant jamais demandé qu’une suite de
personnes soit toujours traînée derrière moi. Tout le monde m’aimait ; et
convoitait ma compagnie. J’étais beau, très beau !
Je n’avais jamais à me soucier de l’argent. Je n’étais pas
seulement beau. J’étais riche aussi, très riche. Je ne me rappelle même plus
comment j’ai obtenu mon premier travail, ni mon premier salaire. Mon travail ne
consistait d’ailleurs qu’en une suite de formalités, de réunions, de chèques et
de papiers signés, avec désinvolture, alors que la secrétaire les défile un à
un devant mes yeux. J’avais un goût très raffiné en mode. Tous mes choix étaient
suivis, approuvés, et imités sans trop d’originalité. Les hommes ont perdu trop
de leur courage pour s’aventurer à se confirmer, pour s’émanciper de la
gloutonnerie de l’habitude. Ils préfèrent se mettre à l’ombre, attendant
patiemment que la tendance soit installée, pour se décider à la suivre. Et ce
même dans leur manière d’être, de se porter, d’évoluer en société. Même à
propos de femmes.
Tous mes caprices étaient des ordres. Tout le monde
cherchait à me choir, à me dorloter. Les femmes, comme les hommes, n’avaient
que le souci de me plaire.
Alors qu’à ce moment, je suis réduit à me cloitrer dans
cette chambre à coucher. Et bien qu’elle soit vaste, et bien illuminée, j’y
étouffe ; je me sens englobé par les ténèbres… Les ténèbres de la
mort ; de la mort prochaine ! Cette fin qui, à son approche, vous
réduit le cœur le plus vaillant à se douter de toute possibilité d’un
« au-delà ». Tellement nous avons peur de perdre cette vie – surtout
lorsqu’on a vécu comme moi – épanoui !
Je ne me sens point prêt à partir. A ne plus vivre, et à respirer.
J’ai toujours aimé la vie ; ma vie. Une vie vécue à profiter de tous les
plaisirs possibles et de tous les biens que l’existence est en mesure d’offrir.
Je n’ai jamais senti ni faim, ni froid, ni pauvreté. Le besoin m’est un
sentiment aussi étranger que la tempérance. Ma vie est démesures !
Extravagances !
J’enrage qu’ils aient encore à vivre. Il me ronge le cœur
d’assister au train-train de leur vie. Je préfère mourir la nuit,
silencieusement, dans l’obscurité. A midi, les gens sont partout trop nombreux,
bruyants et tapageurs. Je préfère mourir sans qu’ils soient à mon chevet, et
entourant mon lit. J’ai envie d’avoir mon horizon vaste, à ma mort, que d’être
à l’étroit, pris au dépourvu. C’est indigne de mourir en présence des autres.
Il n’y a pas plus pitoyable que de mourir devant témoins, étant objet à leur
pitié abasourdissante et malsaine.
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